BARTHELEMY FORMENTELLI , FACTEUR D’ORGUES ET DE CLAVECINS.
BIOGRAPHIE
LA JEUNESSE
Barthélémy Formentelli est né 1939 à Courquetaine, tout près de
Chaumes-en-Brie, de parents italiens originaires de la
Valcamonica. Il reçut du Curé du village, le Chanoine Marcel
Thomas, qui avait dirigé la maîtrise de la Cathédrale de Meaux,
les premiers rudiments du chant et du clavier.
A quatorze ans, il fut confirmé dans sa résolution de faire
l’apprentissage du métier de Facteur d’Orgues, quelles qu’en
fussent les difficultés, grâce peut-être à de mystérieuses
relations entre Courquetaine (ancien fief des Couperin) et
Brescia, patrie des Antegnati, célèbres facteurs d’Orgues
italiens.
Après deux années d’école de menuiserie traditionnelle à Paris,
B.F. entra aux anciens établissements Gonzales dans la banlieue
parisienne, pendant 7 ans, auprès des derniers maîtres
dépositaires de la tradition.
Il y parcourut les différents cycles de l’apprentissage
artisanal du métier. Il passa ensuite deux années dans le Jura,
chez les Facteurs Hartmann – Bourgarel, tout en fréquentant
« les sonorités de l’ancien Riepp de la Collégiale de Dôle.
A à peine 20 ans, B.F. restaura l’orgue de Dammarie-les-lys près
de Melun, qui fut inauguré par André Marchal et Jean Wallet.
Après quoi il entreprit à moto une exploration de l’Italie à la
recherche de richesses instrumentales oubliées ou méconnues,
susceptibles de lui révéler les sonorités argentines dont il
rêvait tant. Cela le conduisit, au début de 1964, à s’installer
au sein de la Valpolicella, charmante vallée « aux tournantes
collines » près de Vérone, encouragé par L. F. Tagliavini puis
par F. S. Colamarino, Don A. Turra, etc…
C’est là que, après s’être marié au Portugal en 1970, il
deviendra père de trois enfants, et que, puisant dans le génie
laborieux, muet et tenace de son ascendance montagnarde, il
trouva la source d’inspiration la plus efficace pour réaliser,
dans le sillon de la plus pure tradition artisanale, sa poétique
sonore.
Grâce à cette extension méditerranéenne, il connaîtra le
musicien Sergio Vartolo, qui l’encouragera à s’intéresser plus
particulièrement à la facture des instruments historiques à
clavier.
Jusqu’à aujourd’hui, B.F. a restauré ou construit près de 300
orgues, 120 clavecins et plus de 20 fortepianos (virginaux,
épinettes, clavicordes, régales, orgues, pianos automates, etc…)
LA FACTURE D’ORGUE SELON B.F.
Dans l’atelier artisanal qu’il vient d’aménager, il met au point
des méthodes de travail en rupture totale avec la facture dite
industrielle ou de confection. Les fabriques d’orgues, en
général, pour survivre et réduire les coûts, industrialisent au
maximum les pratiques manuelles et les matériaux, et, pour la
fabrication des tuyaux, recourent à des fournisseurs extérieurs.
De cette façon on perd inévitablement le savoir, la discipline
et la spiritualité qui distinguent l’artisanat d’art, comme ont
put l’analyser, par exemple, des penseurs comme John Ruskin ou
Simone Weil.
B.F. à l’inverse, choisit de suivre les principes de l’art de
l’orgue classique, tels que les ont transmis les grands traités
encyclopédiques et pratiques du 18ème siècle, avant
tout « L’Art du Facteur d’Orgue » de François Dom Bédos
de Celles.
Il construit des orgues à transmission mécanique pour les
registres, comme pour les claviers, en s’appropriant, pour
l’arrangement phonique comme pour la structure, l’esprit des
règles de la tradition classique de l’orgue.
B.F. rejette absolument toute forme de clientélisme,
incompatible avec sa philosophie du travail, uniquement soucieux
qu’il est de mettre en œuvre des projets attentifs aux leçons
d’histoire et des grands ancêtres. Aussi se heurte-t-il souvent
soit aux impératifs du marché, soit aux accusations de fidélité
exclusive au passé.
Accusé même de « formentelliser » l’harmonie des instruments
anciens, il soutient simplement que selon Dom Bedos (qui est à
la Facture d’Orgue, ce que Bach dirait il est à la création
musicale) l’harmonie des jeux de l’orgue doit posséder ces sept
qualités qui semblent des contraires : « sonore et doux,
brillant et moelleux, éclatant et tendre, et net. Chaque jeu a
son harmonie particulière, mais il doit toujours réunir ces
sept qualités ».
Toutefois, B.F. pratique dans ces instruments neufs sa propre
harmonie instrumentale, en restant le plus conforme possible aux
sept qualités suscitées, convaincu avec D.B., comme Pythagore,
que « l’harmonie c’est le juste équilibre des contraires » .
Citation que l’on retrouve
à peu près semblable chez ce facteur G. Corsi 1738 de Gênes :
« Ho
in appresso da
intonare tutte le canne bisognose in maniera che diano fuori
voce ben chiara e netta e non fosca, vigorosa e non fiacca,
argentina e non bozza, voce infine che esca dalle canne tutte
quante col suo vero frangente senza scivolare, al quale effetto
alle canne che abbiano denti o sia tagli nella parte anteriore
della loro linguetta, ho da fare tutta la diligenza per
levarglieli ad effetto di restituire loro il frangente”.
Pendant l’hiver 2008, un groupe de musiciens/musicologues (dont
F. Colamarino, H. Jourdan entre autres) ont été voir l’orgue
Baumeister 1732 de l’Abbaye de Maihingen en Bavière.
L’instrument nous est parvenu (cas unique en Allemagne)
pratiquement inaltéré grâce à une longue clôture due à des
scellés napoléoniens. Cela permet d’écouter le timbre réel d’un
instrument ancien qui n’as pas été modifié. Qui écoute l’orgue
de Maihingen (au réel, en disque) découvre un son vif, profond,
impérieux, suggestif, d’une extrême richesse harmonique et d’une
suavité surprenante : caractères en commun que l’on retrouve
dans l’harmonie des orgues de B. Formentelli.
Cet instrument est en opposition manifeste aux tonalités soit
dures soit closes qui tendent à réduire le tuyau à n’être qu’un
simple générateur de la note fondamentale, ce qui ne peut
manquer d’obscurcir fortement le timbre, ou l’harmonie
intrinsèque des jeux d’orgue et leurs caractères sont anéantis.
Vieil objet de discussions est l’utilisation de dents dans
l’harmonisation. B.F. s’y oppose en accord en cela avec D. Bedos
et autres, dans le traité duquel ne figure nulle trace de cette
pratique, insistant pour que les biseaux en pur plomb, soient
coupés vivement, que la hauteur des bouches pour les jeux de
Montre et Prestant, soient ouvert au cinquième de leur largeur
et que l’on n’en retranchera qu’à la dernière extrémité.
Sachant toutefois que des traces de dents originelles ont été
repérées dans quelques anciens instruments italiens, B.F sait
très bien qu’en Italie , l’orgue à été très tôt soumis à l’art
du chant soit à l’église comme à l’Opéra.
A côté du Traité « L’Art du Facteur d’Orgue de D. Bedos » il y
a, non moins imposant et important « L’art du Menuisier, de
l’Ebéniste et Carossier » de son contemporain Monsieur Roubo le
Fils. La somme de ces deux traités, uniques dans l’histoire
humaine, revit aujourd’hui, grâce à l’homme d’art
franco-italien, dans son chef d’œuvre : l’Orgue Pontifical Don
Bedos-Roubo, terminé en 2010 (tricentenaire naissance de D.
Bedos) installé en l’Eglise San Domenico de Rieti à 70 km de
Rome.
Les autres sources utilisées par
B.F. sont les quatre livres de l’Architecture de Palladio,
Histoire de
la Peinture de
Vasari, les Lettres de Serassi et Lingiardi, La Vita di B.
Cellini. L’art de toucher le clavecin de F. Couperin et bien
d’autres matériaux qui s’y rapportent.
LES ŒUVRES :
Au cours des premières années en Italie, le souci d’élaborer des
méthodes de travail s’inspirant des grands traités a aussi pour
effet des périodes peu florissantes, économiquement parlant,
pour l’atelier de l’organier.
Heureusement il tient bon grâce a sa force et ses dons
artistiques, amplement manifestés spécialement à l’étranger où,
entre tant de travaux qui lui sont commandés, B.F.,
particulièrement reconnu et estimé par Xavier Darasse et
Jean-Pierre Decavèle, restitue à sa première splendeur le chef
d’œuvre du début du 18ème siècle de Christophe
Moucherel en la Cathédrale d’Albi, un merveilleux instrument de
5 claviers et pédalier cité comme le plus grand Orgue Classique
de France . L’artiste a accepté le défi de la reconstruction et
obtenu un plein succès, resituant l’orgue à ses anciennes
splendeurs après la lente décadence du 19ème siècle,
dont il avait été victime. Aujourd’hui le Moucherel résonne dans
toute son éclatante sonorité, son élégance et sa douceur.
Mais les travaux de B.F. sont également nombreux en Italie. Les
sonorités amerines, insolites et expressives de ses harmonies,
peuvent être écoutées dans la capitale (Orgue Monumental du
Jubilé à Ste Marie des Anges, ainsi qu’à St Jean de Latran avec
la restauration de l’orgue Monumental du 16ème siècle
de Luca Blasi).
LA LIGNEE.
Un des fils de B.F., Michel Octave, avance sur les traces du
père et a ouvert son propre atelier à Camerino, dans les
Marches, où il restaure maints instruments historiques dans la
région.
L’autre fils Daniel est premier altiste solo à l’Opéra de la
Ville de Lyon. La fille Claude Marguerite, précieuse et efficace
pour l'entreprise, a developpé un'activité de haute classe pour
l'élaboration de produits artisanaux culinaires pour réceptions
matrimoniales et d'autres occasions festoyantes et congrès dans
sa vaste propriété, Villa Fascinato de Legnago.
B.F.
INTERPRETE
B.F. est aussi un interprète raffiné: c’est un des rares
facteurs qui, non seulement construit des orgues, mais aussi en
joue de façon rigoureuse et exigeante, étonnamment
professionnelle. Il pratique avec la plus grande attention ce
qu’enseigne F. Couperin dans son « Art de toucher le clavecin »,
pour obtenir une élégante fluidité de l’harmonie : ni détachée,
ni liée, mais articulée, comme dans l’excellente discipline du
chant humain. Pour ceux qui apprécient « la belle éxécution »
(articulée, délirante, expressive et gracieusement cadencée),
comme dit F. Couperin, pour ceux qui ont les goût exquis, qui
préfèrent ce qui touche à ce qui surprend.
L’APOTHEOSE DU GOUT CLASSIQUE FRANÇAIS LE DON BEDOS-ROUBO DE
RIETI
B.F. a toujours placé au
plus haut de son ambition artistique d’opérer concrètement
l’alliance des deux plus grands traités : facture d’orgues et
menuiserie ; autrement dit de construire l’orgue idéal jamais
réalisé, celui-là même dont Don Bedos a conçu les plans, mais
que la mort ne lui a pas permis de mener à bien.
Maintenant Rieti,
ou B.F. a réussi à donner forme et son au projet de Don Bedos,
peur s’honorer d’avoir un des plus grands Momuments de l’Art de
l’Orgue.
Il est étonnant qu’avant de donner à l’histoire un orgue
français en Italie, ce facteur ait fait exactement le contraire
à Manigod, au Carmel de la Paix à Mazille, près de Cluny en
France, à Ste Jeanne de Chantal à Genève etc…, bâtissant ces
splendides instruments dans le goût italien, dans una parfaite
symétrie.
Aujourd’hui le chef d’œuvre des « resuscités » Don Bedos et
Roubo, unique en son genre comme réalisation artistique depuis
la Révolution Française, trône impérieusement dans l’église
romane de St Dominique, restituée à son ancienne splendeur,
après un long oubli qui l’avait entrainé au bord de la ruine et
de l’abandon.
On objectera le peu de cohérence d’un orgue baroque français
dans une Basilique italienne du 13ème siècle, comme
certains l’ont fait remarquer. Mais le résultat est tel qu’il
s’impose aux yeux et aux oreilles de tous.
UN DESTIN PARADOXAL
On pourrait penser qu’une telle réussite reste relative, dans la
mesure où la construction de l’orgue de Rieti témoignerait d’une
fidélité excessive à des modèles anciens, à une esthétique
classique univoque, et ne relèverait que d’un travail
d’archéologique, si heureux et réussi fut-il. Ce serait bien mal
comprendre ce qui s’est joué ici et réagir selon le formalisme
étroit d’un professeur d’esthétique. Car on ne saurait réduire
cet instrument, même s’il s’en réclame à une catégorie, un style
et un siècle, ni même aux impératifs techniques d’un traité,
fut-ce celui revendiqué de Don Bedos et Roubo.
Car don Bedos lui-même l’affirme, l’important n’est pas de
suivre « en tout les règles de l’art » au-delà de l’opération
mécanique, l’essentiel est « la connaissance et le goût décidé
de l’harmonie instrumentale « à quoi tout le reste est
subordonné ». Et cette harmonie ne relève pas de règle à quoi
s’asservirait la facture, mais de la « tournure de son génie ».
L’un fera vivre « une harmonie mâle, fière, vigoureuse,
brillante, l’autre aura pour son goût dominant une harmonie plus
douce, plus tendre, plus fine, plus velouté ». Autrement dit,
l’harmonie trascende règles, écoles, recettes et s’affirme comme
la rencontre du génie personnel unique et de l’absolu musical
rêvé, et c’est elle qui donne son âme à l’instrument, âme comme
seule mesure authentique de sa qualité.
On voit donc à quel point une accusation d’archéologisme ou de
phylologisme passerait à côté de l’essentiel.
La sonorité de l’orgue de Rieti : fraîcheur, clarté, vigueur,
douceur, suavité, brillance, éclat ; reflète moins une époque
passée que le tempérament d’une personnalité unique. Cette
ascendance italienne spécifique qui fait passer dans les
sonorités mesurées du classicisme français comme les vibrations
dynamiques d’un moderne Tintoretto, qui peut aussi expliquer,
par exemple, le choix exigeant exclusif de la transmission
mécanique suspendue qui offre un toucher et une attaque
personnels à l’encontre de la transmission électrique et autres,
comodes, mais neutres et impersonnelles.
Nul passéisme dans un tel toucher aussi vif, sensible qu’exact,
mais plutôt, en accord avec toutes les données structurelles de
l’instrument, le rappel, par delà les sombres pesanteurs du
symphonisme romantique, de la vocation liturgique de l’orgue que
de multiples courants de notre modernité, en lien avec la chute
post-conciliaire de la qualité musicale, tendent à oublier.
Et qu’est-ce peut le mieux répondre à cette chute musicale dans
l’église, comme, à l’extérieur et en miroir au naufrage de l’âme
humaine dans le consumérisme pultionnel qui se généralise, sinon
l’accord improbable, mais ici fortement tenu, d’une unité
de l’art musical de l’époque baroque et d’un tempérament
moderne qui en actualise, dans un bois et un métal patiemment
rendus à leurs puissances, les virtualités intemporelles.
C’est cet accord qui caractérise toute l’entreprise de B.F.
L’unité, d’abord, est celle d’un art qui associant étroitement
la simplicité originelle du matériau choisi et du geste humain
artisanal est porté par l’intuition sensible d’un infini jusqu’à
atteindre au foyer de la vie musicale, là où, selon Philippe
Charru « le lointain se fait proche », là où le verbe se donne.
Le tempérament créateur c’est celui irréductible d’un
facteur d’orgues poussé par son « daimon » à refuser
catégoriquement maints aspects du monde moderne - (ceux surtout
qui dilapident l’idée même de discipline ou de sens) – au profit
d’une méditation et d’une pratique constantes des haut lieux de
la culture européenne, méditerranéenne en particulier. Mais
c’est aussi le tempérament d’un artiste qui sait et aime du
monde moderne, épouser le mouvement, voire le bruit, comme en
témoignent, outre ses missions réparatrices ou constructrices
dans son fourgon sur les routes d’Europe, sa passion de toujours
pour la moto.
Personnalité paradoxale, donc, qui dialogue avec Bach et Don
Bedos, mais aussi bien avec des champions motocyclistes comme
Tarquinio Provini ou Valentino Rossi. A ce titre, il peut faire
penser, par leur commun goût du vent, de l’absolu et des
sacrifices qu’il exige, à G. Bernanos, ce monarchiste
contemporain spirituel de Jeanne d’Arc, ce contestataire qui a
su parler juste, mieux que personne, dans les tragédies du 20ème
siècle et qui lui aussi, aimait pratiquer la moto ; ou encore,
quant à leur amour quasi maniaque de la rigueur artisanale, à
Robert Bresson au Cinéma.
B.F. c’est un destin européen qui, dans une entente profonde de
la haute leçon de Don Bedos, et pour exprimer sa foi en une
beauté musicale transcendant époques, formes et esthétiques,
concurrents, n’a cessé de méditer activement les voies sévères
d’un travail cherchant, dans le sillon de Teilhard de Chardin, à
travers la construction d’un objet matériel fini à délivrer
l’infini pour en décliner toutes les voix.
Georges Hebby
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